Stèles

Publié le par Marco Rugo

Stèles
Victor Segalen


Mon classement : *

J'avoue être hermétique à la poésie. Ce qui explique le temps qu'il m'aura fallu avant de lire le recueil de Victor Segalen, Stèles, bouquin reçu d'un collègue à Noël 2004 (cela change des pots de Nutella). Celui qui m'a offert ce cadeau a sans doute pensé que j'étais un exote (néologisme forgé par Victor Segalen), "voyageur idéal éternellement étranger et inlassablement xénophile". Dans un de ses poèmes, il donne d'ailleurs des Conseils au bon voyageur : Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule. Moi qui aime être seul, ce texte me parle; ainsi, j'aurai pu écrire comme lui que je n'ai point [...] d'exploits à accomplir. Pour régler ma vie singulière, je me contemple seul en mon ami quotidien.

Comme le précise en préface Pierre-Jean Remy, Victor Segalen a poursuivi sa vie durant le dialogue entre le Réel et l'Imaginaire. Non qu'il parle exclusivement de la Chine, mais la Chine l'aura inspiré dans la création de Stèles. Pour preuve, ce texte qui reflète la soumission confucéenne du peuple chinois : Du Père à son fils, l'affection. Du Prince au sujet, la justice. Du frère cadet à l'aîné, la subordination. D'un ami à son ami, toute la confiance, l'abandon, la similitude. D'ailleurs, voici comment il parle d'un ami : Celui que j'ai fait Noble de mon amitié et ailleurs de préciser : O fourberie d'une amitié parfaite.

Extraits et tournures appréciés :

[...] jusqu'aux symboles nus courbés à la courbe des choses.

Attentif à ce qui n'a pas été dit; soumis par ce qui n'est point promulgué; prosterné vers ce qui ne fut pas encore

[...] la Raison qui est une

Le Sage dit : Etant sage, je ne me suis jamais occupé des hommes

Ceci ne vaudrait pas un exergue, à peine d'être dit

[...] honorons [...] le temps dans sa voracité.

La mort est fort habitable.

Par respect de l'indicible
[...]

Tout ce qui peut se faire
[...] nous l'avons fait.

[...] ne t'en va point de moi que tu habites


J'y ai appris de nouveaux mots (dico) :
Des rangées de monts lancéolés
Ils laissent un cartouche où s'inscrit la dévolution
Des points interlopes
Sans commentaires ni gloses inutiles
Ces ors que la pluie lave
Je n'ai pas obtenu le jappement de l'eau pure et profonde
Inabreuvé, toujours penché, j'ai vu, oh ! soudain, un visage
Deux mondes s'abouchent ici
Toute la Mongolie-aux-Herbes déploie son van au bord de l'horizon
La moire de tes veines
Hormis l'incuse nécessaire à ton creux
La Conquérante aux âpres remparts, aux redands
Belles cavales de toutes les couleurs : celle-ci pourpre et aubère-rose



En savoir plus sur Victor Segalen en consultant Wikipedia ou alors le site de la Poésie francophone, Anthologie. Il y a également le site de l'Association Victor Segalen. Magie de l'internet, vous pouvez lire le texte intégral de Stèles en cliquant ici et celui de Equipée en cliquant .

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Que l'éditeur me permette de reproduire ici trois poèmes in extenso, ceux qui m'ont le plus touché :


Pour lui complaire

A lui complaire, j'ai vécu ma vie. Touchant au bout extrême de mes forces, je cherche encore à imaginer quoi pour lui complaire :
Elle aime à déchirer la soie : je lui donnerai cent pieds de tissu sonore. Mais ce cri n'est plus assez neuf.
Elle aime à voir couler le vin et des gens qui s'enivrent : mais le vin n'est pas assez âcre et ces vapeurs ne l'étourdissent plus.
Pour lui complaire je tendrai mon âme usée : déchirée, elle crissera sous ses doigts.
Et je répandrai mon sang comme une boisson dans une outre :
Un sourire, alors, sur moi se penchera.


On me dit

On me dit : Vous ne devez pas l'épouser. Tous les présages sont d'accord, et néfastes : remarquez bien, dans son nom, l'EAU, jetée au sort, se remplace par le VENT.
Or, le vent renverse, c'est péremptoire. Ne prenez donc pas cette femme. Et puis il y a le commentaire : écoutez : "Il se heurte aux rochers. Il entre dans les ronces. Il se vêt de poil épineux..." et autres gloses qu'il vaut mieux ne pas tirer.
Je réponds : Certes, ce sont là présages douteux. Mais ne donnons pas trop d'importance. Et puis, elle est veuve et tout cela regarde le premier mari.
Préparez la chaise pour les noces.


Ordre au soleil

Mâ, duc de Lou, ne pouvant consommer sa victoire, donna ordre au soleil de remonter jusqu'au sommet du Ciel.
Il le tenait là, fixe, au bord de sa lance : et le jour fut long comme une année et plein d'une ivresse sans nuit.
Laisse-moi, ô joie qui déborde, commander à mon soleil et le ramener à mon aube : Que j'épuise ce bonheur d'aujourd'hui !
Las! il échappe à mon doigt tremblant. Il a peur de toi, ô joie. Il s'enfuit, il se dérobe, un nuage l'étreint et l'avale,
Et dans tout mon coeur il fait nuit.

Publié dans Lectures

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