Helveticus Artitus Felix

Publié le par Marco del Rugo

Ca y est, ma demande de naturalisation a été déposée lundi 31 mai 2010, à 11h25. Le compte à rebours a donc commencé. Me voici lancé dans les arcanes de l'administration qui se doit de contrôler ma bonne intégration dans ce pays qui m'a vu naître. Pour les plus curieux d'entre vous, voici ci-dessous la motivation qui égayait ma requête.

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Motivation.
«Pourquoi, t’es pas Suisse toi ?» Voilà l’exclamation interrogative que me vaut l’annonce de ma naturalisation à mes connaissances. On peut valablement s’interroger du pourquoi tant je me sens intégré au pays où je suis né.

La présente demande de naturalisation a été pour moi l’occasion de lire pour la première fois la Loi sur la naturalisation (LN). Remplissant les conditions imposées par l’article 15 LN, me voilà à devoir motiver ma requête au sens de l’article 14 de cette même loi fédérale, a fortiori l’article 26. Alors que les autorités attendent de moi une contribution, le législateur ayant fixé des devoirs à l’étranger que je suis dans l’Ordonnance sur l’intégration des étrangers (OEI).

Il est piquant de constater que ma demande soit faite au moment où la cheffe du groupe socialiste au Conseil général de la Ville de Fribourg m’apprend que je suis devenu le 1er «vient ensuite» de la liste de ce groupe au Conseil général (élections communales de 2006). Parallèlement, au nom du Conseil fédéral, le Département de Justice et Police vient de répondre aux questions 10.1027, 10.1028 & 10.1029 posées par le conseiller national Antonio Hodgers et relatives toutes trois aux critères d’intégration des étrangers. En préambule, je vous rassure tout de suite, bien que cela ne ressorte pas des pièces demandées, je dispose bel et bien de mon propre compte auprès d’un établissement bancaire suisse !

Ma démarche de naturalisation a nourri ma réflexion sur le sens de celle-ci. Ainsi donc, je suis né en Suisse de parents immigrés italiens. Après m’être amusé durant ma prime enfance avec des enfants de nationalités diverses (le quartier du Jura, à Fribourg, offrant déjà cette opportunité il y a de cela 40 ans maintenant), j’ai donc intégré l’école obligatoire, me souvenant que nous étions sept Italiens dans la classe. En fin d’études secondaires, après une année au Collège St-Michel, me voilà effectuer un apprentissage de commerce dans une assurance. Ce n’est qu’ensuite que j’ai réellement pris conscience de ma nationalité : majorité conquise, je ne pouvais pas voter ! Il m’était par ailleurs interdit de remplir les obligations militaires dans le pays où je vivais, seule la possibilité de le faire dans mon «pays d’origine» m’était donnée (les jeunes Italiens de l’époque se trouvaient devoir assumer des tâches au Liban où plusieurs de mes compatriotes y ont laissé leur peau). Mais pourquoi donc étais-je différent de mes copains suisses ? Qu’avaient donc fait ces derniers que je n’aie point effectué ? La réponse coulait de source, limpide : rien. Non, mes amis suisses n’avaient rien fait de pire ou de mieux que ce que je faisais moi-même. L’explication était ailleurs : la nationalité de leurs parents déterminait la leur ! J’étais étranger et je n’y pouvais rien. A ce moment-là, le «droit du sang» résonnait à mes oreilles comme un apophtegme. Je l’ai vécu comme une injustice, en apôtre que j’ai toujours été du jus soli, le «droit du sol».

Sans remonter jusqu’à l’édit de Caracalla, il faut avouer que le législateur avait sur ses épaules un fardeau historique non négligeable, celui du «droit du sang» appliqué dans le droit romain du temps où l’esclavage était autorisé. Mais dès le XIXe siècle les flux migratoires sont venus bousculer tout ceci et le droit du sol s’est peu à peu imposé en Occident, exception faite (encore) de la Suisse. Malgré cela, d’autres écueils ont peu à peu disparu. Ainsi, je ne dois plus aujourd’hui choisir entre ma nationalité d’origine et la nationalité helvétique, toutes deux se juxtaposant. Ou encore l’aspect financier où les seuls émoluments sont dorénavant réclamés. Détails que tout cela car je m’oblige à relativiser l’absolu et à absolutiser le relatif.

Si je me fie aux résultats 2009 du Baromètre des préoccupations, sondage annuel du Crédit Suisse, je puis me considérer comme Suisse sans cependant en avoir le passeport. Une des questions posées avaient trait à l’identité suisse : «Citez trois caractéristiques qui, à vos yeux, symbolisent la Suisse». Quelles en ont été les réponses ? Permettez que je cite les principales, avec entre parenthèses leur taux : paysage (21 %), sécurité (18 %), Alpes (17 %), précision (16 %), neutralité (14 %), patrie (11 %), chocolat (10 %), tradition (10 %), prospérité (9 %), tourisme (9 %), qualité (8 %), fromage (8 %), liberté (7 %), plurilinguisme (7 %), propreté (7 %), montres (6 %), conscience professionnelle (6 %). La Sainte Trilogie helvétique nous fait là un clin d’œil : chocolat, fromages et montres !

Paradoxalement, c’est en voyageant dans de nombreux autres pays (que l’on qualifie d’économiquement pauvres) que j’ai pris conscience de ma propre identité, habitée par une bonne partie des critères issus du sondage sus-indiqué. Et comment ne pas être reconnaissant à la Suisse d’avoir donner l’opportunité à mes parents Italiens de construire une vie espérée meilleure ? La Suisse, ce pays m’ayant vu vivre plus de 40 ans durant, a une forte probabilité à m’y voir mourir et offrir une dernière demeure à ma dépouille. Ma demande de naturalisation a donc pour vocation de confirmer un état de fait, celui d’une bonne intégration, toute naturelle.

Je me rends bien compte que, telle une bouture, mes racines ont pris à Fribourg, ville où mon père est décédé et où ma mère, vieille et malade, sera sans doute enterrée. Par ailleurs, toute ma famille y réside, que ce soit mes deux frères, Walter et Claudio, père de deux enfants, ou encore ma sœur-jumelle, mère de trois enfants et naturalisée Suisse depuis plusieurs années, sans parler de mes connaissances, privées ou encore professionnelles. C’est dire mon attachement à cette commune, Fribourg, à ce canton, Fribourg aussi, et à ce pays, l’Helvétie.

Si j’en reviens aux critères d’intégration définis par le législateur, je puis vous assurer partager les valeurs de la Constitution fédérale remaniée et acceptée par le peuple à l’aube du XXIe siècle et respecter l’ordre juridique (la virginité de mon casier judiciaire en atteste, de même que le certificat de bonnes mœurs délivré par la commune de Fribourg). Pour ce qui a trait à la langue nationale, la présente motivation attestera de ma maîtrise de l’idiome français; sachez encore que je parle italien, autre langue nationale, et que j’ai appris l’allemand, utilisé par surcroît en Suisse allemande où je vécus deux ans.

Je ne m’attarderai pas sur la «connaissance du mode de vie suisse» puisque je le pratique au quotidien (est-il utile de préciser que j’adore la fondue moitié-moitié, c’était d’ailleurs là le slogan d’une mémorable campagne de votations cantonales dans laquelle je m’impliquai, «Toutes Citoyennes – Tous Citoyens»).

Quant à la volonté de participer à la vie économique et d’acquérir une formation, il sera difficile d’en douter à la lecture de mon curriculum vitae que je verse au dossier.

Ma demande de naturalisation fait donc sens et représente l’acmé de ma bonne intégration en Suisse. Puissiez-vous en penser identiquement en m’accordant la nationalité suisse; je percevrais son refus comme aporétique.

Publié dans Naturalisation

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